Originaire des Antilles, elle grandit à Paris avant de s’installer sur l’île de La Réunion où elle vit et travaille depuis 2016. Diplômée des Beaux arts d’Angers (ESBA TALM), elle œuvre à la conception et la réalisation d’objets productibles avec peu de ressources, des objets qui inscrivent des gestes et des pratiques « faisant cultures, et sociétés ». C’est en ce sens qu’elle co-écrit Le manuel illustré du bricolage urbain avec le collectif ya+k en parallèle de son post-diplôme aux Arts Déco de Paris, avant de travailler comme designeuse à l’ADRIE puis de fonder et diriger pendant 4 ans l’association « SUPER » concevant des objets autour de l’upcycling.
À La Réunion, ses recherches se tournent naturellement autour de la canne à sucre comme un matériau à la fois puissant et vulnérable, comme figure symbolique chargées d’histoires et de mémoires tant intimes que collectives.
Liée à La Martinique par son histoire familiale, elle se souvient de ses étés passés dans la maison de sa grand-mère, implantée non loin d’une distillerie dont elle se rappelle les effluves. C’est à partir de cette mémoire vive et de son exploration des plantations — au travers de différents temps de recherches et résidences de création — que l’artiste en extrait matières, fibres et récits sensibles pour réaliser des objets impactants, porteurs et vecteurs d’une histoire coloniale et d’imaginaires créoles qui viennent interroger nos propres fables sociales. De celles qui mettent en lumière les enjeux et « impacts de la culture de la canne dans nos histoires culturelles ultra-marines » dit-elle, « de la Réunion où je vis, aux Antilles où sont mes racines. »
L’artiste travaille ainsi en partenariat avec différents laboratoires scientifiques et de recherche artistiques et agricoles, et en collaboration avec des artisan·nes — ébénistes, rotinier·eres ou tresseur·ses — et architectes du territoire, pour explorer les ressources infinies de la plante.
De ses racines à ses feuilles, de ses pousses à ses chutes et résidus, la canne donne ses process et certains de ses titres à ses installations : Bagasse, Graminée ou Bagapan passent par des procédés d’extraction, d’échantillonnage, d’agglomération, de cannage, de tressage, de cristallisation… Elle cristallise ici l’idée de transformation et d’émancipation d’une culture insulaire symbolique, porteuse de récits communs et de secrets enfouis, comme d’autant de pratiques séculaires et vernaculaires à sauvegarder.
À travers ses projets à caractère expérimental et innovant, liant récits, usages et plasticités des objets, Johanna Grégoire développe ainsi « une pensée créative créole » en mouvement, inscrite dans les réalités et les défis économiques, identitaires, sociaux et culturels d’un territoire lui-même en mouvement.
En exposant ses formes, elle met enfin en avant le rôle du designer qu’elle conçoit comme celui d’un·e passeur·se de formes et de langages « à l’endroit de la « (ré)activation » bien plus que de la (ré)invention », pour reprendre ses mots.
Actuellement soutenue par le CNAP, Johanna Grégoire poursuit ses recherches en vue d’une résidence en Martinique prévue en 2025 qui aboutira à une exposition d’envergure pour le Salon « Maison et Objet » à Paris en 2026.
— Leila Quillacq, 2025